Je suis censée narrer le pourquoi du comment je me suis retrouvée dans ce pétrin. Le problème c’est qu’il m’arrive encore très souvent de me le demander.
Qu’y a-t-il de pire qu’une sombre histoire dégradante ?
Devoir la raconter. Tout à fait !
Comme si la revivre une seconde fois par écrit pouvait alléger ses effets sur mon esprit tourmenté.
Mais bon… ça aussi, ça fait partie du contrat…
Alors… allons-y gaiement !
Tout a commencé mercredi dix-huit septembre 2019. À quatorze heures trois. Précisément. Je m’en souviens puisque c’était l’anniversaire de mon mari. Et parce que j’étais censée être à mon travail à quatorze heures pétantes…
C’est donc ce jour-là que le destin a décidé de mettre à exécution son plan diabolique contre moi. Jusqu’ici, je pensais que toutes mes petites notes mentales cyniques étaient du vent. Vous savez, ces petites phrases qu’on déclare pour plaisanter comme « ma ponctualité causera ma perte… » Eh bien ce mercredi-là, ma ponctualité, Benoît, ma gentillesse, Benoît, ma générosité, Benoît, M. Bernier et enfin et surtout Benoît, ont eu raison de moi.
Pour info : Benoît est mon adorable mari, et M. Bernier mon salopard de patron.
Ancien patron, du coup.
Si je remets tout dans l’ordre, voilà en gros ce qu’il s’est passé : Benoît et moi avons une tradition d’anniversaire qui consiste à ne rien dépenser pour l’autre. Étant la seule à ramener un « salaire » à la maison, ce genre de défis relève davantage d’une nécessité que d’une tradition originale. Sauf que « zéro dépense » ne signifie pas « zéro plaisir ». À nous de nous creuser la cervelle pour rendre ces jours-là tout aussi spéciaux, sans rentrer dans l’aspect commercial du concept d’anniversaire.
C’était donc prévisible, au fil des années, notre tradition a fini par dévier vers des cadeaux d’ordre exclusivement sexuel… Il faut savoir que Benoît et moi sommes très portés sur la chose. Sans doute même un peu trop, je l’admets. Qui pourrait nous le reprocher ? Nous sommes mariés après tout.
Je parle peut-être très librement du sujet, comme vous pouvez le constater, or, je ne suis pas du genre exhibitionniste (ce qui marque une nette différence entre Benoît et moi).
Tout cela pour en arriver au « cadeau » que j’ai offert à mon mari ce jour-là : « la réalisation de trois fantasmes ». J’avais ajouté les mentions : « dans la mesure du possible et du respectable », car on ne sait jamais avec Benoît. Mieux vaut prendre ce genre de disposition avant que son esprit tordu ne s’emballe trop loin. J’aurais cependant dû rajouter « raisonnable » à la liste.
Je trouve ça génial d’avoir de bonnes idées après coup. Formidable !
Je n’ose même pas vous raconter quelle était la teneur du deuxième fantasme qu’a désiré assouvir Benoît. Le premier s’était déjà révélé très… imaginatif (pour ça, Benoît a de la créativité à revendre, vous pouvez me croire.) Son inspiration ne connaissant aucune limite nous a donc propulsés dans une séance qui m’a fait perdre le fil du temps, ainsi que la notion d’à peu près tout le reste.
Voilà pourquoi les chiffres « 14 : 03 » sur le micro-ondes m’ont tant marquée. Lorsque j’ai louché dessus avec effroi, autant vous dire que ça m’a vite fait redescendre de mon petit nuage rose charnel. Cette saleté de micro-ondes avait l’air de me narguer en érigeant ces chiffres d’une couleur rouge criard. S’il cherchait une vengeance cuisante après toutes ces années de... (massacres culinaires) tentatives, il a dû vivre un moment d’extase inoubliable.
Bien évidemment, je suis partie en quatrième vitesse de chez nous. J’ai même claqué une fortune en taxi pour restreindre au maximum mon retard au travail.
Bref, j’ai été virée.
Je le savais avant même d’arriver à bon port. Cela dit, notre esprit nous joue parfois des tours à espérer dans le vent. C’est ce qui m’a menée tout droit vers l’ultime sermon de M. Bernier. Le fourbe, il ne s’est pas contenté de me licencier pour faute, il s’est permis de m’humilier face à mes (anciens) collègues et clients. S’il n’avait pas titillé mon sang chaud de sudiste, je serais sans doute sortie dignement de cet horrible fast-food.
Mais non.
À la place, j’ai hurlé des trucs qui ont dépassé ma pensée. Et il se peut aussi que j’aie renversé deux trois choses par terre. Pas très délicatement...
Puis j’ai lancé mon tablier et mon badge dans le bac à friture. À la base, j’avais visé la tête de M. Bernier… Ce qui a précipité ma sortie pour le moins rocambolesque. Le pauvre type qui se trouvait entre la trajectoire de la porte vitrée et la porte elle-même en a fait les frais.
J’ai préféré opter pour la marche de la honte pour rentrer chez nous. Une bonne façon de décompresser et d’évacuer ma colère bouillonnante.
Au final, je n’ai fait que ressasser ce qui me contrariait. Ce boulot, aussi misérable fût-il, représentait notre unique source de revenus. Trouver un autre emploi s’annonçait fastidieux. Je n’ai jamais fait d’études parce qu’il fallait que l’un de nous deux assure le loyer, justement.
Belle ironie !
Bosser dans un fast-food quand on n’a pas de diplôme, c’est opter pour la facilité. Sauf lorsqu’on me demande de travailler le week-end, alors que j’ai des concerts et des répétitions en même temps. J’avais déjà sacrifié mes études, il n’était pas question que je fasse une croix sur ma passion et mon groupe de musique. M. Bernier m’avait donc aménagé des horaires spécifiques. Une chance que j’étais loin de retrouver sur Paris. Une ville peuplée de gens comme moi, à la recherche d’un job alimentaire pour sortir la tête de l’eau.
Je n’avais qu’à m’en prendre à moi-même, aussi… J’avais des horaires aménagés et je n’ai pas été fichue de les respecter.
Ce qui m’énervait par-dessus tout, c’était de savoir que pendant que je me torturais les méninges avec tous ces soucis, mon tendre mari était sûrement en train de se prélasser chez nous. Devant son ordinateur.
Et pas pour chercher un premier emploi, non ! Pour jouer à son jeu vidéo débile en ligne avec ses potes, bien sûr. On s’était pourtant mis d’accord : il suivrait des études pour que je puisse me consacrer à ma carrière de chanteuse une fois qu’il percevrait un salaire digne de ce nom.
Voilà deux mois qu’il était diplômé…
Cette situation me rendait folle de rage. D’autant que c’était en partie de sa faute si je m’étais fait virer ce jour.
Tant pis si c’était son anniversaire, j’étais déterminée à lui remettre les pendules à l’heure dès mon retour.
De belles paroles…
Je n’avais pas anticipé la petite fête surprise qui était en train de se tramer chez nous en mon absence. Inutile de savoir qui en était à l’origine. Antoine et Mélanie, les deux meilleurs amis de Benoît. Rien de tel pour nourrir ma colère sous-jacente que de faire face à cette dernière. Sa réaction m’informa que le plaisir était partagé...
Disons que Mélanie n’est pas juste la meilleure amie de mon mari, ni la première petite amie qu’il a eue avant moi. Non ! Mélanie a été là pour Benoît quand il a perdu sa mère des suites d’une longue maladie. Elle l’a donc réconforté, consolé, épaulé, aidé à remonter la pente... En gros, elle a été là pour lui au moment le plus difficile de sa vie. Je ne pourrai jamais rivaliser contre ça. Et cette garce en a toujours eu parfaitement conscience.
Ce n’est pas tout, bien sûr ! À mesure que le temps passe, cette arriviste a tendance à devenir une pâle copie de Benoît, comme pour renforcer le déséquilibre entre nous.
Mélanie est passionnée de jeux vidéo et pas n’importe lesquels : les mêmes que Benoît. Mélanie est si douée en informatique qu’elle a choisi d’en faire son métier. Ses études. Avec les mêmes options que mon mari. Mélanie est depuis peu ceinture noire de karaté. Comme Benoît. Une fois de plus. Mélanie est insouciante. Mélanie passe sa vie devant la télé quand elle n’est pas avec ses amis ou ses jeux. Mélanie est douée en cuisine. Mélanie est d’une beauté affligeante. Mélanie attire tous les regards. Tout le monde aime Mélanie. Mélanie rit pour tout et n’importe quoi. Mélanie se fiche du rangement. Mélanie n’est pas fan de musique. Mélanie…
Mélanie est insupportable !
Ce que je ressens pour elle va bien au-delà de la jalousie. Toutes deux entretenons une sorte de guerre froide non officielle. En tout cas, pas pour les autres. Chaque geste, chaque regard, chaque acte est une menace ouverte subtile. Moi qui pensais qu’elle finirait par se faire une raison après le mariage... Que nenni !
Cela fait six ans que Benoît et moi nous sommes échangés nos vœux, et pourtant, Mélanie trouve encore l’énergie de chercher à s’immiscer entre nous.
Pathétique...
Cette abominable fête surprise en était une preuve supplémentaire. Elle avait préféré tout organiser l’après-midi plutôt que le soir, pour être certaine que je ne sois pas dans ses pattes. Elle s’était aussi bien gardée de m’en parler au préalable, par peur que je lui pique la vedette, sans doute. Manque de bol, j’étais de retour ! Et plus en rogne que jamais.
J’étais semblable à une marmite sur le point d’exploser sous la charge de toutes ces émotions négatives.
Puis j’ai croisé son regard. Pas n’importe lequel.
Le sien.
Celui de mon Binou.
Il allait de pair avec son sourire enfantin ravageur. C’était tout le temps comme ça avec Benoît. J’avais beau être furieuse, il suffisait qu’il me toise avec cet air énamouré pour me ramener sur terre. Ou pour me transporter dans un autre monde, plutôt. Qui sait.
En deux enjambées, il me prit dans ses bras. Ici, j’oubliai mon licenciement, nos soucis financiers, Mélanie... Tout !
Il était mon oxygène. Si bien que lorsqu’il m’embrassa...
Un raclement de gorge significatif se fit entendre. Je ne saurais pas dire de qui il provenait, ça m’a tout de suite rappelé que nous n’étions pas seuls. Je me suis excusée, quelque peu gênée, puis j’ai salué le petit groupe.
― Vous vous êtes quittés il y a moins d’une heure ! s’est moqué Antoine. C’est cool que t’aies pu te libérer plus tôt, Elly !
Je n’allais pas gâcher l’ambiance en apprenant à tout le monde que je venais de me faire virer.
― On ne voulait pas nous imposer, a prétexté la Mélanie d’une mine faussement contrariée. On t’aurait inclus dans l’organisation de la fête si on avait su que tu ne travaillais pas.
Mais oui, mais oui…
― T’en fais pas, Elly, on fera le ménage en partant, m’a rassurée Cindy.
Comme si c’était ma principale préoccupation ce jour-là ! Cela dit, nous étions une dizaine dans notre studio d’environ dix-huit mètres carrés. Prétendre que nous nous marchions dessus ne serait pas exagéré. Ceci dit, cela faisait plaisir à Benoît d’être entouré par ses meilleurs amis le jour de son anniversaire. Ça n’avait pas de prix.
Arriva le moment crucial du gâteau.
La Mélanie avait tout prévu. Un énorme fondant au chocolat : le dessert préféré de Benoît. Ça se voyait qu’elle l’avait fait elle-même. Il était aussi magnifique qu’il reflétait la phrase : « Tu vois, moi je pense à toi, je t’ai fait un beau et bon gâteau, contrairement à Elsa qui, elle, n’est ni capable d’en faire, ni capable de t’en payer un ! ». Les vingt-quatre bougies formant un cœur ne m’ont pas échappé non plus. Elle avait inscrit « Bix » en plein milieu avec des perles rouges.
« Bix », c’est le surnom que tout ce petit groupe lui attribue, car il s’agit de son pseudo dans leur fameux jeu en ligne « Warrioz ». Depuis le temps qu’ils s’abrutissent tous avec, ils ne s’appellent plus que par leurs pseudos. Ce qui me donne du fil à retordre pour suivre les conversations, sachant que je suis la seule à ne pas jouer à ce jeu.
Je suis également la seule à être propulsée dans la vie active. Difficile de combler le fossé qui me séparait de plus en plus de ce groupe, qui était autrefois le mien. Dans nos années lycée... J’avais l’impression d’être une rabat-joie à leurs yeux. « Elly bosse ». « Elly va gueuler si on met du bordel partout ». « Bix ne peut pas jouer aussi souvent qu’il le voudrait à cause d’Elly ».
De mon point de vue, j’évoluais. Pas eux.
Ce qui a suivi en était une preuve supplémentaire. Je dirais même qu’il s’agissait du clou du spectacle : le cadeau. Mais alors, quel cadeau !
J’encaissais déjà assez jusque-là, y compris lorsque la Mélanie s’est assurée auprès de Benoît s’il se régalait avec son gâteau, à plusieurs reprises. Ô comme je me serais régalée à le lui balancer à la figure, son gâteau !
Disons que je n’étais ni plus ni moins qu’une bombe à retardement. Alors quand mon cher et tendre a ouvert son enveloppe cadeau…
― Putain, vous déconnez les gars ? La tournée Warrioz !
Benoît a presque hurlé de joie en découvrant des tickets dans l’enveloppe. Il ne semblait pas en croire ses yeux. Son sourire laissait penser à une expédition chez le père Noël en personne. Cette tournée Machin Truc me parlait autant qu’un et un font six.
― On s’est dit que, puisque tu n’as pas encore de travail, tu pouvais en profiter pour prendre deux semaines de vacances pour partir avec nous ! s’est extasié Étienne.
J’ai décidé de ne pas relever le « pas encore de travail », « profiter » et « vacances ». Il fallait d’abord que je comprenne de quoi il s’agissait.
― On a tous participé, Bix ! a ajouté Brandon en lui administrant une tape amicale sur l’épaule.
« Tous »... Moi qui pensais que je ne pouvais pas plus me sentir exclue…
― Deux semaines où nous ferons le tour de cinq capitales d’Europe pour la tournée Warrioz ! a poursuivi la Mélanie. Tout est compris, trajets, repas, hôtels. Tout !
― Vous avez dû payer ça une fortune, vous êtes malades ! a lancé Benoît, encore abasourdi par la nouvelle.
― Il y avait un prix de groupe, se justifia Daniel. Ce qui fait qu’on sera dans des dortoirs, la plupart du temps. On aura aussi un accès illimité à tous les forums Warrioz, les matchs et les soirées. On sera H24 ensemble, mec !
Je me suis tue jusque-là.
Il valait mieux.
Le summum a été lorsqu’Antoine s’est enfin adressé à moi :
― Désolé, Elly, on s’est dit que ça ne t’intéresserait pas. Et puis tu n’as jamais trop de vacances, en plus. Mais si tu veux venir, on peut toujours…
― Bien sûr qu’elle le veut ! a rétorqué Benoît en passant son bras autour de ma taille. C’est moi qui vais payer ta part, bébé, c’est la moindre des choses.
Avec quel argent ? Son attention m’a à la fois touchée et déprimée. Il n’avait pas le moindre sens des responsabilités.
― C’est pendant les vacances de la Toussaint, tu crois que tu pourras prendre des congés au boulot ? m’a demandé Antoine, très soucieux de mes disponibilités.
― Je…
― Bien sûr que oui ! m’a coupé Benoît. Son patron est cool, il lui aménage déjà ses horaires pour ses concerts. T’as qu’à dire que tu fais une tournée musicale, bébé !
― Faudra quand même qu’on trouve quelque chose à faire faire à Elsa, a grommelé la Mélanie. Parce que notre équipe sera à contribution tout le temps. Même si on n’a aucune chance d’aller en finale, on peut essayer de bien se classer. Je doute que tu veuilles passer ton temps à nous regarder jouer, Elly.
― Elle jouera avec nous ! a décrété mon mari en jetant un froid dans toute l’assemblée. Eh, les gars, Mélix vient de le dire, on n’a de toute façon aucune chance de gagner le gros lot. Alors quitte à s’amuser, autant le faire à fond. Je peux très bien apprendre les bases à Elly d’ici fin octobre. Avouez que ça pourrait être vachement sympa !
Haussement d’épaules général. J’ai vu quelques sourires s’épanouir. Et parce que ça avait l’air de catastropher la Mélanie au plus haut point, j’ai laissé Benoît s’enfoncer au plus profond dans son euphorie. Il s’est rué sur son ordinateur et a déclaré haut et fort :
― Vous savez quoi ? On va lui créer son compte tout de suite. Ça va être trop bien de faire ça tous ensemble ! Viens là, bébé !
Il m’a fait signe de m’installer sur ses genoux, pendant que les autres nous encerclaient autour de l’ordinateur. Je n’étais pas certaine de venir à leur machin. J’avais de plus en plus de mal à contenir mes sanglots. Mon malaise contrastait à côté du bonheur irradiant de Benoît.
Je n’avais qu’une chose à faire. Rester là et attendre que ça passe. Je ne devais rien dire, car j’en étais physiquement incapable. Cette boule dans ma gorge manquait presque de m’étouffer.
Benoît enchaîna plusieurs manipulations sur son clavier avec une dextérité déconcertante pour parvenir à la création d’un nouveau compte.
― Alors, pour le pseudo, je propose Ellyx ! a-t-il suggéré tout guilleret.
― Pas question, s’est renfrognée Mélanie. C’est trop proche de « Mélix ». On va s’emmêler les pinceaux. Pourquoi pas Zaza ?
― Non, ça doit se terminer en « X », comme nous tous, a protesté mon mari.
― Alors, Zax ? hasarda Antoine.
― Ça ressemble à mon pseudo, mais ça ne me gêne pas, moi, exprima Daniel dont le pseudo était Dax.
― Et pourquoi pas Elzix ? lança Cindy.
― Vendu ! a tranché Benoît tandis qu’il terminait déjà de l’inscrire dans la case prévue à cet effet.
S’en sont suivis d’interminables débats concernant mon hypothétique mission et caractéristiques du personnage que j’incarnerais. J’avoue avoir perdu le fil. Benoît avait beau tenter de m’intégrer, il n’eut d’autre choix que de me caresser le dos et me planter un baiser sur la joue de temps à autre. J’étais présente sur le plan physique. Point. Une vraie potiche !
Or, plus ce petit cirque s’éternisait, plus ça m’inquiétait. Benoît semblait si enchanté à l’idée que je m’implique dans leur jeu à la noix que ça me faisait mal au cœur. Je voulais bien faire un effort pour lui faire plaisir. On appelle ça « des concessions » dans un couple. Or, de là à m’investir dans ce truc à fond… NON ! Je me gardai toutefois d’en faire la remarque. Moi qui avais la réputation de toujours (trop) exprimer tout haut l’intégralité de ce que je pensais (que ça plaise ou pas…), j’ai dû faire preuve d’une maîtrise absolue pour ne pas saboter la fête de mon Binou.
C’était sans compter sur ce dernier. Je parvenais à bien gérer mes émotions, pour une fois. C’est alors qu’il m’a soufflé la chose qu’il ne faut surtout pas dire à quelqu’un qui fait son possible pour retenir ses larmes : « Ça va, bébé ? ».
Et vlan ! Un vrai ruisseau ! Un ruisseau par temps de pluie torrentielle, qui plus est. Moi qui voulais garder une once de dignité, c’était râpé...
― Bébé ?
La panique dans sa voix me bouleversa d’autant plus. Il n’avait pas l’habitude de me voir dans cet état. Moi non plus, pour tout dire. Je m’énervais toujours d’un coup, la minute d’après c’était terminé, on n’en parlait plus. Comme quoi, ce n’est jamais bon d’enfouir des ondes négatives. Ça finit par sortir, d’une manière ou d’une autre.
― Pas maintenant, Binou ! l’ai-je supplié en me cachant contre sa nuque.
C’est ton anniversaire...
― Merde, c’est pour cette histoire de Warrioz ? s’affola-t-il.
Le pauvre, il ne savait plus quoi faire ni comment réagir. J’ai secoué la tête telle une gamine en train de pleurnicher dans les bras de son papa. J’avais si honte, quand j’y repense !
― C’est aussi grave que ça en a l’air ? a-t-il insisté à deux doigts de la crise d’angoisse.
Il n’a pas attendu ma réponse. Il m’a portée pour m’escorter dans la salle de bain.
― Binou je… je t’en prie, ai-je bégayé avec difficulté. Ça va… ça va tout gâcher. Ça peut attendre de… demain.
― Ça va me rendre fou d’attendre et tu le sais. Je suis déjà fou.
Il avait raison. La fête était de toute façon momentanément foutue. J’ai pris une grande inspiration et j’ai déclaré sans détour :
― J’ai été virée.
Et là… Benoît... Mon très cher Benoît a… soupiré.
Pas n’importe quel soupir. Un soupir de soulagement. De toutes les réactions attendues, elle devait être la moins probable.
― Oh putain ! Tu m’as fait une de ces peurs, bébé ! J’ai cru que t’étais enceinte ou une connerie du genre !
Ce que j’ai ressenti à ce moment précis n’était pas non plus escompté. Ça m’a fait l’effet d’un coup de poignard en plein cœur. Ça ne tenait pas juste à ce qu’il venait de dire. Ce fut surtout la répulsion qui avait déformé son si beau visage qui me choqua.
Nous avons vingt-quatre ans tous les deux. Nous sommes ensemble depuis dix ans, mariés depuis six. Nous nous aimons, il n’y a aucun doute là-dessus.
Certes, avoir un bébé dans notre contexte financier serait inconscient. J’aime/j’aimais me faire à l’idée que ça se fera/ferait un jour.
C’est à ce moment-là que j’ai commencé à réaliser qu’une porte vers un projet d’avenir que je croyais commun s’est fermée. Bruyamment. Le claquement résonne encore en moi lorsque j’y repense.
Il est vrai que nous n’avions jamais abordé le sujet. En même temps, c’est le genre de conversation qu’on aborde volontiers lorsqu’on entame une relation autour de la trentaine. Voire un tout petit peu avant. Mais à quatorze ans ? À part contester les restrictions de sortie de nos parents, nos discussions de couple frisaient le ridicule. Fonder une famille restait le cadet de nos soucis !
Toujours est-il que je ne sais pas comment j’ai trouvé le courage de lui demander, et cette fois-ci, sans bégayer :
― L’idée de devenir père un jour te répugne à ce point ?
― Euh…
Il a dû sentir la pente glissante un maudit jour de verglas, lui aussi. Alors il a fait ce qu’il faisait toujours face à un obstacle entre nous. Il a joué sa carte magique. Celle face à laquelle il m’était impossible de résister.
― J’ai à peine la maturité pour être un mari acceptable et responsable. Je ferais un piètre père. La preuve, au lieu de te consoler et t’assurer que tout va bien aller, au lieu de ramener de l’argent, au lieu de trouver un travail, je mets encore plus les pieds dans le plat en te faisant flipper. Un vrai crétin ! Mme Warik, vous avez un mari complètement idiot. Et complètement fou de vous !
Après cela, il m’a embrassée avec une fougue démesurée. Et même si au fond de moi je savais qu’il s’était plus débarrassé de la question qu’autre chose, j’avais décidé de faire taire toutes mes pensées parasites.
Laisser le temps faire les choses... En général, il les fait bien.
J’ai préféré me reposer sur cette pensée encourageante.
À tort.
J’avais décroché quelques entretiens d’embauche. Dans la restauration rapide, principalement. En attendant, les prélèvements automatiques de fin de mois s’acharnaient sans pitié sur notre pauvre compte bancaire.
« On trouvera une solution, bébé » dans la bouche de Benoît revenait à dire « tu trouveras une solution, bébé, j’ai foi en toi, comme toujours ! ». Alors, je m’y consacrais autant que possible depuis près d’une semaine.
Je m’étais décidée à contacter mes parents le mardi vingt-quatre septembre, en prétextant avoir une pensée pour eux. Il s’agissait de leur anniversaire de divorce. Plus pourrie comme excuse, on ne pouvait pas !
Voilà tout ce que j’ai obtenu de la part de mon paternel :
— Écoute Elsa, il serait peut-être temps de vous débrouiller, non ? Benoît est diplômé, maintenant. Et puis c’est compliqué pour moi aussi, tu sais. Avec la pension alimentaire que je dois reverser à ta mère, déjà… Tu n’as qu’à lui demander à elle.
Je le respecte trop pour contester ses choix. Il avait raison, comme presque toujours.
— Mais enfin pourquoi ne m’en as-tu pas parlé de suite ? s’est affolée ma mère.
Parce que je n’en avais pas eu le courage avant.
— J’étais concentrée sur le concert de samedi et les entretiens d’embauche, me suis-je défendue. Ce que je demande, c’est juste un coup de main. Je te rembourserai dès que tout sera revenu dans l’ordre.
— Je vais voir avec John ce qu’on peut faire. Je te rappelle dans la soirée. Bisous, ma chérie !
Ma mère tout craché… Incapable de prendre une décision toute seule. Il fallait toujours qu’elle consulte l’avis de mon beau-père. Ça m’a énervée. Et comme rester les bras croisés était au-dessus de mes forces, je me suis rendue à la répétition de ce soir une bonne heure d’avance.
— Tiens, Elly ! On t’attendait pas si tôt ! s’exclama Anita.
— Ça tombe bien, tu vas pouvoir nous dire ce que tu penses de la nouvelle reprise. Fais-lui écouter, Ani !
Celle qui venait de prononcer cette phrase, c’était Eve. Alias, Evy. Ma grande sœur de cœur, ou comme on dirait encore plus niaisement : ma meilleure amie.
Si Benoît est l’une des raisons principales de ma participation à ce fichu programme télé, Eve en est irrévocablement la deuxième. J’y reviendrai. À ce moment-là, nous nous préoccupions juste de notre groupe PlayElles.
Nous nous regroupions ici chaque mardi et jeudi soir. Chez Anita, la pianiste. Elle se chargeait aussi des arrangements de nos reprises. Cette fille a du talent à revendre.
Par ailleurs, il y avait Alexandra, la batteuse et Courtney à la basse. Quoique cette dernière était sur un siège éjectable depuis quelques semaines. Là n’est pas le sujet.
Eve était la guitariste et la compositrice à ses heures perdues. C’est elle qui gérait l’ensemble du groupe, les concerts, les sorties d’albums, le marketing, le management, les rentrées d’argent… Tout.
Et puis il y avait moi, la chanteuse. Un petit groupe de filles qui gravissait les échelons de la gloire petit à petit. Nous étions encore loin de réussir à en vivre, hélas ! Il aurait fallu que nous nous y consacrions à plein temps. Or, nous avions toutes une vie bien chargée à côté.
— T’es sûre que c’est une bonne idée de lui faire écouter, maintenant ? se soucia Anita. C’est pas du tout terminé et…
— Allons, c’est Elly ! Fais-lui écouter ! insista Eve.
Nous étions habituées à ce qu’Eve soit aussi directive. Avec elle, nous avions intérêt à filer droit. Manque de bol, j’ai vu le titre de la chanson sur le projet du logiciel d’Anita. Et l’interprète d’origine...
— Vous voulez me faire chanter du Alizée ? C’est une blague ? Il n’en est pas question !
— Tu vois, je t’avais dit qu’elle réagirait comme ça !
— Bon sang, fais-lui écouter ! s’agaça Eve.
— « J’ai pas vingt ans » en plus ! ai-je crié au scandale. Ma crédibilité et celle du groupe vont en prendre un sacré coup ! Mais ça va pas…
— Mets-la en veilleuse, Elly ! Et écoute !
Ne jamais contrarier Eve. Jamais. Et toujours prendre cette règle en considération. Toujours.
J’ai écouté. Et j’ai essayé de ne rien laisser paraître.
— Alors ? Verdict ? m’a demandé Eve d’un sourire victorieux.
Elle me connaissait trop bien, la garce !
— Mouais, ai-je minimisé pour ne pas trop perdre la face.
L’arrangement était surprenant. Stupéfiant. Rien à voir avec la musique initiale qui avait bercé mes soirées « boom » de gamine.
— Ce n’est qu’une maquette inachevée pour l’instant, a tenté de se défendre Anita.
— Ne t’inquiète pas, Ani, Elly a adoré ! s’est moquée Eve en me gratifiant d’un clin d’œil.
Garce !
— Par contre, j’émets des réserves sur les paroles, ai-je râlé pour la forme. Je sais que je fais plus jeune, mais faut pas exagérer !
— Ben quoi ? T’as pas vingt ans, tu en as vingt-deux.
Eve avait réponse à tout, aussi.
— Vingt-quatre ! l’ai-je corrigée avec fierté, tant il était rare de la voir commettre une erreur.
— Ah bon, déjà ? Le temps passe si vite !
— Bon alors, on continue ou pas ? s’impatienta Anita.
— Oui, affirma Eve. Rajoute les basses comme je te l’ai suggéré et occupe-toi des variations.
— Tu vas où ? On devait le faire ensemble !
— Je vais m’en griller une. Tu sais très bien t’en sortir sans moi. Allez viens, Elly !
Je l’accompagnais toujours quand elle fumait, car il s’agissait de nos seuls moments privilégiés en tête-à-tête. J’adorais ces petits moments, même si ça impliquait un tabagisme passif répugnant.
— Je t’ai trouvé une tenue d’enfer pour le concert de samedi ! m’a-t-elle lancé tout sourire.
— Laisse-moi deviner… Il faudra que je cherche le tissu ?
Eve avait un goût particulier pour les robes de soirée. Elle les aimait extravagantes, à la limite du choquant. Et c’était moi qui en faisais le plus les frais, en tant que chanteuse.
— C’est quoi cette humeur de chien ? T’as tes règles en avance ou quoi ?
Typiquement Eve ! Elle était du genre à ne pas connaître mon âge, mais la date de mes menstruations, c’est limite si elle ne comptait pas les jours ! A priori, ça aurait un impact sur les cordes vocales. Une histoire d’hormones et de fatigue musculaire. Eve ne laissait jamais rien au hasard. Jamais. Tout était calculé avec minutie. C’était ce qui ferait notre réussite un jour, je le sentais.
J’aurais pu sauter sur l’occasion pour lui parler de mes soucis financiers et de mon licenciement. Or, nous n’avions pas ce genre de relation avec Eve. Je m’étais fait un point d’honneur à ce que je ne profite pas de sa belle situation. Car l’argent a le don de tout bousiller sur son passage. Mon amitié avec Eve comptait beaucoup trop à mes yeux pour risquer de la compromettre. Ou de la changer.
Elle a été la toute première amie que je me suis faite lors de mon arrivée sur Paris. J’avais quatorze ans. Elle, dix-huit. Nous suivions les mêmes cours de théâtre et solfège.
C’est elle qui m’a incitée à prendre des cours de chant en plus, voyant là une occasion supplémentaire de suivre une classe artistique ensemble. On ne s’attendait pas à ce que cela devienne une révélation. Autant de son côté que du mien. J’ai découvert que j’avais un talent caché. Elle a entrevu la création d’un groupe. Et quelques années plus tard, PlayElles voyait le jour.
Nous avons toujours été là l’une pour l’autre, dans les moments difficiles. Quand son père l’a rejetée lorsqu’il a appris son homosexualité, par exemple. Quand mes parents ont divorcé. Elle était comme la sœur que je n’avais jamais eue. Voilà pourquoi j’ai choisi de garder le silence vis-à-vis de mes soucis actuels. Elle représentait tellement plus qu’un vulgaire porte-monnaie à mes yeux.
— Non, je suis juste fatiguée, ai-je prétexté. J’aimerais que Benoît trouve un boulot.
— Je pourrais peut-être le pistonner chez AVé, me proposa-t-elle. Tant qu’il ne travaille pas dans mon service, je n’y vois aucun inconvénient.
Benoît et Eve étaient aussi proches que la Mélanie et moi… Benoît la trouvait trop envahissante et n’appréciait pas l’influence qu’elle avait sur moi. Eve trouvait Benoît trop envahissant, et n’appréciait pas l’influence qu’il avait sur moi. La belle affaire !
A priori, mon mari me tirerait vers le bas. A priori, ma meilleure amie m’évincerait toujours par son côté dictateur. Autant les laisser se déchirer entre eux. Après tout, c’est bien ce que Benoît faisait avec Mélanie et moi.
Il n’empêche que sa proposition de piston m’a touchée, compte tenu du fait qu’elle ne portait pas mon mari dans son cœur. Je voyais mal la Mélanie en faire autant pour moi.
— Crois-tu qu’il aurait de bonnes chances de rentrer ? ai-je sollicité en réfrénant mon envie de la supplier.
— J’en sais rien, ce n’est pas moi qui gère ça. Qui tente rien n’a rien. Qu’il me file son CV.
Eve est productrice d’une chaîne de télévision privée. « AVé » pour « À Vos Écrans ». Je n’avais ni la télé ni les moyens de me payer un abonnement. J’essayais de suivre l’actualité du travail de ma meilleure amie du mieux que je pouvais. Ce qui m’offrit l’occasion de centrer la conversation sur elle.
— Alors, ça en est où ton super projet de programme hyper méga top secret ?
— C’est fou que tu me poses la question, j’allais justement t’en parler ! gloussa Eve en rallumant une deuxième clope. On a commencé nos recherches de candidats hier. Et devine quoi, j’ai eu une révélation tout à l’heure en rentrant chez ma mère.
— Une révélation ? ai-je ricané par anticipation.
— Oui. Je vais inscrire mes parents à ce programme, Elly. Ils ne le savent pas encore. Je compte sur ta discrétion. Je vais même faire en sorte qu’ils ne l’apprennent qu’une fois que ce sera trop tard. J’ignore comment je vais m’y prendre. Il faut juste que je trouve un moyen pour qu’ils ne puissent pas y échapper.
Plus de doute possible. Eve était fêlée. Même si je n’avais aucune idée de quoi il était question, ça restait un programme diffusé à la télévision. Je voyais mal Judith, sa mère, se donner en spectacle. Encore moins M. Laffront.
— Tu es folle ! n’ai-je pas pu retenir.
— Il ne t’est jamais arrivé d’avoir une idée si inattendue et délurée qu’elle devient une évidence ? Parce que je t’assure que c’est l’effet que ça m’a fait, Elly. J’ai clairement vu ça comme la solution ultime à tous les soucis de ma mère. Je m’en suis même voulu de ne pas y avoir songé avant.
Quand Eve prenait cet air perché, le seul truc à faire, c’était d’acquiescer.
— Si tu le dis…
— Tu es d’accord que ma mère n’est pas heureuse avec cette raclure ?
Difficile de le nier. J’ai esquissé une moue en guise d’approbation.
— Eh bien grâce au programme AMORT, tout ça sera terminé !
— « AMOR » ? m’interloquai-je. T’es sérieuse ? C’est le nom de ton programme de folie ? On dirait le titre d’un soap à la mords-moi-le-nœud.
— C’est AMORT avec un « T » à la fin. Tu comprendras vite qu’on ne pouvait pas trouver plus approprié comme nom. Malheureusement, je ne peux toujours pas t’en dire plus. Bon, il va quand même falloir qu’on songe à y retourner ! T’es prête pour tes vocalises ?
Voilà ce qu’était le programme AMORT à mes yeux : une énième émission stupide qu’Eve avait créée et produite. Je sentais que ça ferait pas mal d’audience, parce que les gens aiment les émissions stupides. Ça les divertit. Je ne juge pas. Et je ne critique pas le boulot d’Eve pour autant. Je suis très admirative de ses multiples talents. C’est juste que nous appartenons à deux mondes différents (pour ne pas dire « opposés »). Eve a la folie des grandeurs. Alors que moi je me contente d’être fidèle à moi-même. Naturelle et simple.
Je vais privilégier un jean, un débardeur, une veste et une pince dans les cheveux. Eve, elle, va sortir l’artillerie lourde avec ses nombreuses paires de mocassins tendance, ses mini-jupes asymétriques, des bijoux en veux-tu en voilà, une coupe au carré plongeant lissé et coloré. À ce moment-là, elle était blonde. Aujourd’hui, elle est rousse. Je crois. Disons qu’elle vit dans le luxe et ne s’en cache pas.
J’en avais conclu que c’était notre différence qui nous rapprochait.
Ou pas.
Aujourd’hui, mes rapports avec Eve sont quelque peu confus. C’est le moins que l’on puisse dire !
J’ai retrouvé Benoît sur Warrioz, en rentrant chez nous ce soir-là. J’ai pris sur moi pour ne pas râler à propos de la pile de vaisselle qui s’amoncelait sur la table. Il a cependant intercepté mon expression de dépit en constatant l’état global du studio. Si on pouvait encore appeler ça ainsi, après la tornade « Binou au chômage ».
— Y’avait plus d’place dans l’évier ! s’est-il justifié en haussant les épaules d’un air penaud.
…
Parfois, on la sent arriver, la crise. Elle se déclare tout d’abord par des petits picotements au niveau de la mâchoire. Comme si notre corps tout entier se conditionnait à hurler, pour évacuer toute la colère enfouie. Après, soit on décide de laisser la volonté de notre corps s’exprimer. Tant pis pour les dégâts que cela occasionnerait. Soit on décide de se contenir. Or, je n’ai jamais trouvé la recette pour ça. J’ai dû manquer une mise à jour, lors de mon éducation.
J’ai quand même essayé. J’ai soupiré en me laissant tomber sur le clic-clac. Il était encore en position-lit, les couvertures en vrac. Et parce que je venais de m’asseoir sur une assiette sale égarée, j’ai oublié que j’étais censée prendre sur moi.
En bref, ça a dégénéré.
J’ai crié. Beaucoup. Je ne me souviens pas bien de tout ce qui est sorti de mes cordes vocales, mais ça n’avait rien de mélodieux.
— De toute façon, t’es jamais contente ! m’a-t-il accusée en guise d’excuses.
J’allais répondre un truc qu’on aurait pu qualifier de « non sympathique », lorsqu’il m’a prise au dépourvu en ôtant son t-shirt.
— Qu’est-ce que tu fais ? ai-je réclamé abasourdie.
— Ma réponse est une réponse en trois points ! a-t-il lancé, tout en continuant à déboutonner son jean. Premier point, il n’y a que dans un seul domaine où je ne te déçois jamais. En tout cas, où je semble être à la hauteur.
Il s’est débarrassé de son pantalon.
— Deuxième point, on nous a appris en cours qu’il fallait toujours s’appuyer sur nos meilleures compétences lorsqu’on se retrouve face à un obstacle.
Son caleçon a suivi le reste de ses vêtements par terre. J’avais de plus en plus de mal à me concentrer sur ses paroles.
— Et enfin, dernier point, à chaque fois qu’on se dispute, on finit toujours par se réconcilier sur l’oreiller. Alors, autant gagner du temps avant que ça dégénère. Tu sais que je suis un porc, un glandeur et un gamin. Mais tu sais aussi ce dont je suis capable dans une tout autre discipline. L’heure est venue, bébé. Il est temps de mettre en pratique le deuxième point.
Ma colère avait déserté sans même que je m’en rende compte.
Benoît détient une recette miraculeuse. Je n’ai jamais su m’en plaindre. Ni même résister...
Mais au final, est-ce que nous ne faisions pas que repousser nos problèmes ? Car aussi torrides furent nos ébats amoureux de réconciliation, nous n’avons jamais réglé ne serait-ce qu’un soupçon de nos crises conjugales.
Un jour, on en paiera le prix fort.
Ou pas.
Je ne l’espère pas.