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CHAPITRE 1

― Excusez-moi d’insister, Mme Zapoli, mais vous voyez très bien qu’il n’y a plus rien à faire pour Marc et moi. S’il est trop borné pour l’admettre, c’est son problème. Plus le mien. Moi j’arrête les frais. J’arrête de gaspiller de l’argent qu’on n’a pas. J’arrête tout !

Voilà comment tout a commencé. Ou plutôt, comment tout s’est terminé.

Question de point de vue...

Comme venait si bien de le souligner ma si merveilleuse épouse envers notre thérapeute conjugale : nous étions une cause perdue.

Personne ne pouvait le nier, pas même moi. Je me trouvais tout de même aux premières loges du gouffre que représentait notre union. Et si l’on en croyait « Horror » (orthographe plus appropriée pour désigner la si délicieuse « Aurore De Stefano »), j’en étais responsable.

Classique…

Douze ans. Douze ans de mariage. Soit, environ quatre mille trois cent quatre-vingt-trois interminables jours de supplice à devoir nous supporter. Ce fut si éprouvant que mon cerveau semble avoir occulté la mention qui précède « et pour le pire », ainsi que la raison qui nous a précipités dans ce pétrin devant témoins.

Alors non, nous n’étions pas face à cette médiatrice dans l’espoir de recoller les morceaux. Loin de nous cette idée ! Rafistoler un vase qui aurait cédé sous la pression d’un surplus d’eau au fil des années, pourquoi pas. Personne n’était dupe. Si tant est que Horror et moi eussions représenté un vase à nous deux un jour, ça faisait bel et bien des lustres qu’il était parti en fumée. Et jusqu’à preuve du contraire, on ne cherche pas à réparer de la cendre.

À mes yeux, Mme Zapoli constituait un arbitre potentiellement conditionné à défendre mes intérêts face à l’injuste et injustifiable « divorce pour faute » qui me pendait au nez au moindre écart de conduite. Car bien évidemment, ça ne nous suffisait pas d’avoir des divergences d’opinions sur à peu près tout ce qui constituait notre vie maritale, il fallait bien sûr que nous ne nous accordions pas sur le divorce. Pour Horror, c’était le divorce pour faute ou « rien ». Pour moi, c’était le divorce à l’amiable ou « rien ».

Et ça faisait je ne sais combien d’années que nous expérimentions les bases d’une vie commune à partir de ce fameux « rien ».

En vain.

Bref, cette thérapie assurait mes arrières.

Cela étant dit, comme venait si adroitement de le mentionner mon épouse adorée, notre situation financière (si on pouvait encore appeler ça « une situation » !) était critique au point que nous ne pouvions ni poursuivre ces séances mensuelles avec ma précieuse arbitre ni divorcer à l’amiable. La belle affaire, n’est-ce pas ?

Alors pendant que chacun campait sur ses positions, nous devions trouver un terrain d’entente dans nos deux « riens » respectifs. Car nos problèmes d’argent impliquaient ce léger détail non négligeable : nous étions contraints de cohabiter.

Inutile de préciser qu’avec le temps, notre petit cocon conjugal avait pris des allures de ring. Et dans notre discipline à nous, tous les coups étaient permis.

Je me revois en train de dépérir sur ce sofa usé par le poids d’histoires sordides qui ont mené des couples tels que Horror et moi à leur perte, face à Mme Zapoli.

Le silence qui venait d’inonder la pièce fut aussi éloquent que glacial. Un de ces moments où passé, présent et futur se confrontent dans une lutte effrénée. Qui l’emporterait ? Stagnerions-nous dans ce présent sinueux, hantés par d’innombrables regrets du passé ? Un hypothétique futur radieux pourrait-il se profiler à l’horizon ?

Cette sombre blague !

J’étais sur le point de me lever pour partir quand les paroles de notre thérapeute marquèrent un tournant décisif dans notre misérable vie. Elle se redressa sur son siège, repositionna ses petites lunettes, nous fit signe d’approcher nos visages au plus près du sien pour nous confesser tout bas :

― Écoutez… J’ai peut-être une autre alternative à vous proposer.

― Ah oui ? s’est empressée de l’interrompre Horror. Quoi donc ?

Cette manie de toujours bousculer les autres sans prendre la peine de remarquer qu’elle les coupait dans leur élan, m’énervait. De toute façon, tout, absolument tout, m’horripilait chez cette femme qui était la mienne.

― Eh bien, malheureusement, cette information est confidentielle pour l’instant, a répondu Mme Zapoli avec courtoisie. Toutefois, il s’avère que vous êtes sur le point de vous enliser dans une impasse, en cessant nos séances. Et dans la mesure où votre situation vient de prendre une conjoncture plus… urgente (elle voulait dire « catastrophique », ça se sentait), laissez-moi revenir vers vous lorsque j’en saurai plus concernant ce fameux… programme.

Un programme…

 

Je me souviens avoir éprouvé une forme de soulagement à l’évocation de ce « programme » mystère. Un espoir naissant pour résoudre tous nos problèmes comme d’un coup de baguette magique.

Marc...

J’aurais mieux fait de rester dans l’ignorance. Tout comme j’aurais mieux fait de ne pas tenir tête à mon père lorsque l’idée saugrenue d’une union avec Horror s’était imposée à l’époque.

Hélas, on ne refait pas le passé.

On subit juste le présent.

CHAPITRE 2

Nous défaire de notre thérapeute conjugale ne nous a pas épargné un certain nombre de directives. Pour faire face à nos dettes, Horror devait réfréner ses pulsions pour le shopping abusif. Moi, j’étais tenu de trouver un boulot alimentaire, pour compléter mes revenus de compositeur de musique indépendant. Et dans la mesure où donner des cours particuliers de guitare n’était pas « un travail acceptable » pour ma femme, j’ai dû me résoudre à chercher quelque chose d’accessible, qui ne nécessite aucun diplôme. La restauration… rapide.

— Alors, cet entretien ?

— Bonjour, ma chérie ! As-tu passé une bonne journée ? ironisai-je en désespoir de cause.

Voilà donc tout ce que je représentais pour Horror. Un butin supplémentaire pour lui payer ses clopes et ses crédits à la consommation. Je n’en espérais pas plus, mais je n’acquiesçai pas pour autant.

— Ne me dis pas que tu n’es même pas fichu d’obtenir un poste dans un fast-food ! Je rêve !

— J’en sais rien, mentis-je. Ils me recontacteront. Je ne suis pas le seul sur le coup.

En réalité, j’avais reçu un signe du destin en m’y rendant. Je ne vois pas ce que ça aurait pu être d’autre.

De toutes les fois où je suis rentré dans un fast-food (pour ainsi dire, la première), je me suis mangé une porte vitrée en pleine face. La nana — ou plutôt la furie — à l’origine de cet affront, était une employée tout juste licenciée. Elle avait provoqué un sacré grabuge en partant. Ça en disait long sur la direction. J’en ai obtenu la confirmation en analysant les réactions de ceux qui auraient pu être mes collègues. Tout est dans le regard. Surtout l’angoisse. Ils s’activaient tous pour nettoyer les dégâts comme si leur avenir sur terre en dépendait.

Le directeur, aussi oisif fût-il, semblait faire régner la terreur. Je ne pourrais jamais travailler pour quelqu’un qui a si peu de considération pour l’être humain. Surtout pas pour faire plaisir à Horror.

Il voulait m’embaucher sur-le-champ. J’ai prétexté être allergique à la bêtise humaine. Il y a un fond de vérité. Mes soucis de santé sont divers et variés.

Je comptais poursuivre mes recherches de travail, par respect pour les recommandations de notre thérapeute conjugale.

C’était avant de constater trois choses :

1/ Un carton vide provenant d’une enseigne de luxe à l’entrée. Visiblement, j’avais contrarié le planning de Madame en rentrant plus tôt qu’elle ne l’aurait espéré. D’habitude, elle prenait le temps de cacher les preuves de sa frénésie dépensière.

J’ai omis de préciser que ma femme travaille pour une enseigne très reconnue dans le vaste domaine de la mode. Sa fonction : « acheteuse ». Sa passion : acheter. Son plus gros problème : ses achats. Et la cigarette, aussi.

Ce qui nous ramène donc à mon deuxième constat :

2/ Horror était en train de fumer. Dans notre appartement. Dedans ! Alors que je n’exècre pas juste l’odeur, j’en suis atrocement allergique.

3/ Elle avait ramené un chat. Je ne l’ai pas vu tout de suite, mais je l’ai vite senti. Surtout ressenti. L’allergie aux poils de félins est la seule qui surpasse celle de la cigarette…

C’était nouveau, voilà que ma femme cherchait à me tuer...

— J’étais sûre que tu prendrais ton temps pour trouver un vrai travail. Alors je me suis dit que ce serait plus efficace si j’ajoutais deux trois motivations supplémentaires, se justifia-t-elle en tirant une taffe comme pour mieux illustrer ses propos.

Ma répartie légendaire fut réduite en une quinte de toux persistante.

— Je m’engage à rendre cet appartement viable quand tu me ramèneras un contrat de travail digne de ce nom, chantonna-t-elle en pleine jubilation. Je commencerai à mettre à exécution mes bonnes résolutions à ce moment-là, aussi. En attendant, je te suggère de crécher chez un pote. Ou chez une amie, tiens, ce serait encore mieux !

Elle remettait souvent cela sur le tapis. Elle rêvait de me voir commettre un adultère pour lui simplifier l’accusation d’un divorce pour faute.

Cette garce me claqua la porte au nez. J’ai hésité deux secondes à y retourner pour prendre des affaires, avant de me raviser. Mon espérance de vie dans cet appartement, en l’état actuel des choses, était extrêmement limitée. Celle d’Horror encore plus. De toute façon, tous mes vêtements devaient être imbibés d’effluves de substances allergènes.

Il ne me restait plus qu’à appeler Cyril… Ce bon vieux Cyl !

— Euh… Ouais, tu peux venir, m’a-t-il répondu.

— Un chat ? T’es sérieux ? Elle a osé ! s’est exclamé Cyril effaré.

Bien sûr que oui elle avait osé ! Mon expression illustrait mon épuisement émotionnel. Cyril est comme un frère pour moi. Nous avons grandi dans deux maisons quasi voisines. Les mots s’avèrent inutiles lorsqu’on a tout vécu ensemble. Très sincèrement, je ne sais pas ce que je serais devenu sans lui.

— Ben écoute… Tu peux dormir ici tant que tu veux, pauvre vieux. Et comme je me lève plus tôt que toi, je te laisse ma chambre. Ah ! Tiens avant que j’oublie… Attrape ! acheva-t-il en me lançant les clés de son duplex.

— J’te le revaudrai, mec ! ai-je exprimé empli d’une reconnaissance démesurée. Cela dit, je ne compte pas m’imposer longtemps, je peux tout à fait me contenter du sofa. Tant pis si tu me réveilles. Je n’arrive de toute façon pas bien à dormir ces temps-ci.

— Non, non. Il m’arrive très souvent de passer mes nuits là. J’ai tout à disposition, ici. Mon ordi perso, mon ordi pro et ma machine à café.

Cyril est concepteur de jeux vidéo. Nous avons tous les deux fait le choix de faire de notre passion notre métier. La seule différence entre lui et moi, c’est que Cyril a réussi à trouver une place dans une grande boîte, dans sa branche. En tant que compositeur de musique, c’est mission impossible. Soit nous sommes forcés d’être à notre compte, soit… Eh bien il n’y a guère d’autres choix vraiment accessibles. Ce qui est rude, lorsque nous bénéficions d’un véritable tempérament d’artiste.

Créer, inventer, innover, on sait faire. Or, quand il s’agit de gérer tout l’aspect administratif et commercial… Il n’y a plus personne ! Ce n’est pas simple de tout assumer seul. Cyril n’a jamais édité une facture de sa vie. Je crois même qu’il n’a jamais vu l’ombre d’un client en direct. Il se concentre sur ses compétences, point barre. Je donnerais n’importe quoi pour n’avoir qu’à me préoccuper de mes compositions ! Car au final, je dois travailler trois fois plus que Cyril, et gagner cinq fois moins d’argent. La dure loi de la vie…

Après, il y a des avantages et inconvénients partout. Il dira que j’ai de la chance de n’avoir ni patron ni horaires. Le concept de liberté varie d’un point de vue à un autre, c’est assez surprenant.

Pour en revenir à ce qui m’a mené vers ma situation actuelle, j’étais donc gracieusement et confortablement logé chez mon pote d’enfance. Une bénédiction que j’étais comme un frère à ses yeux pour mériter une telle considération. Car on ne peut pas dire que j’étais l’ami de l’année, depuis tous mes soucis avec ma femme. Le repas que Cyril avait organisé chez lui le soir même — pour me remonter le moral — illustrait honteusement ce constat.

Il avait invité notre petit groupe d’amis habituels. Les plus proches. À savoir : Marion, Élodie, Thomas et Ambre. Je m’attendais à ce que tout se déroule dans une ambiance bon enfant, comme toujours avec eux.

Cyril et Marion étaient ensemble, Thomas et Ambre aussi. Il ne restait plus qu’Élodie et moi pour tenir les chandelles. Elle était amoureuse d’un inaccessible. Moi, j’étais prisonnier de… enfin… vous savez.

Élodie et moi en plaisantions souvent depuis que nos relations sentimentales respectives étaient devenues de vrais désastres. En tout bien tout honneur, bien sûr. Nous étions bien trop amis pour envisager autre chose. Et dans la mesure où c’était clair pour tout le monde, il n’y avait aucune ambiguïté à ce que nous continuions à jouer les faux couples modèles.

Comme je le disais, l’ambiance était bon enfant. C’était le cas jusqu’à ce que je lance à Élodie en plein repas :

— Mon petit sucre d’orge, je suis dans le regret de t’annoncer que nous devrons nous contenter du lit conjugal de Cyl et Marion pour nos petites affaires, jusqu’à nouvel ordre.

Un fiasco ! Non seulement, personne n’a émis le moindre rire, mais tout le monde m’a dévisagé comme si je venais de manquer de respect à mon amie. Ce qui ne tenait pas debout, puisque nous passions notre temps à nous échanger ce genre d’idioties. L’humour nous permettait d’alléger notre frustration sexuelle, en un sens.

Je me suis tout de même senti obligé de corriger le tir.

— Désolé, sur le coup, je trouvais ça drôle. C’était très naze, je plaide coupable. Votre lit me convient très bien, ne vous en faites pas.

— L’ennui, c’est que j’ai l’impression que t’as loupé un chapitre, me reprocha Cyril.

Désormais, on me scrutait comme si je venais de commettre une faute de magnitude 7, sur l’échelle de la trahison.

— Quel chapitre ? ai-je réclamé d’un air minable.

Oui, car je me foutrais encore des claques en y repensant.

— Cyl et moi ne sommes plus ensemble, a déclaré Marion.

Elle s’est de nouveau concentrée sur ses fajitas, alors que je sentais le poids du jugement persistant à travers le regard des autres. À juste titre.

Cyl était mon meilleur pote, or, depuis qu’il avait amené Marion dans notre vie, elle avait bénéficié du même titre. Rares étaient les moments où je voyais l’un sans l’autre. Au bout de quatre ans où ils n’avaient formé qu’un, difficile de conceptualiser cette nouvelle configuration. Ce qui n’empêchait pas le sentiment de culpabilité qui m’a submergé à cet instant précis.

Cyril, Marion ou les deux m’en avaient-ils parlé ? Si oui, quand ? Comment avais-je pu occulter un tel événement ? Le pire étant qu’ils auraient pu avoir besoin de leur meilleur pote pour encaisser ce genre de chose. Une épaule. Un soutien moral. Une oreille attentive. Que nenni. De ma part, ils n’ont reçu que de sempiternelles jérémiades vis-à-vis d’Horror.

Ce fut le silence le plus ignoble de ma vie, je crois. Ils attendaient que je me justifie, m’excuse ou je ne sais trop quoi. S’ils avaient eu la moindre idée de l’auto-flagellation qui se déchaînait en moi, ils auraient mis un terme à ce malaise insupportable. Or, c’était à moi d’assumer mes erreurs jusqu’au bout.

— Je..., ai-je bafouillé. Franchement, je ne sais pas quoi dire… Je voudrais tout vous dire en même temps. Je sais que vous présenter mes excuses ne serait pas suffisant.

Cyril souhaitait intervenir, sans doute pour alléger ma sentence. Je lui ai fait signe de me laisser poursuivre.

— J’ai beau retourner le truc dans tous les sens… je ne vous mérite pas. Vraiment pas. Vous êtes tout ce qu’il me reste de sincère. De bon. Et je ne suis même pas fichu de… Je n’ose même pas vous demander depuis quand. Si vous me l’avez dit. Parce que c’est évident que vous me l’avez dit. Ce serait encore pire si ça n’était pas le cas. Je manque de mots pour vous exprimer combien je vous suis reconnaissant pour tout, combien je suis impardonnable, pour tout, et combien je me hais. Pour tout. Je…

— Tu avais d’autres soucis à gérer, m’a défendu Marion d’un ton compatissant.

— Ça n’excuse rien, bordel ! Et tu trouves encore la motivation nécessaire pour m’héberger et organiser ce repas, Cyl ? Alors que je ne vaux rien. Je suis si...

— Pas besoin d’en faire toute une montagne ! s’est moqué Cyril en me resservant un verre de vin. On a tous des hauts et des bas. Et regarde-nous. Nous sommes là. Malgré le temps, les embûches, les imprévus…

Il s’est tourné vers Marion avec un sourire éteint et a enchaîné :

— Les ruptures… Le plus important, c’est qu’on aille bien. Et puis tu crois que Marion serait là ce soir si on vivait mal la situation ? Je ne pense pas. Alors oui, non, c’est pas cool que t’aies pas été attentif à nos propres histoires. Mais je sais… on sait tous que c’est une mauvaise passe pour toi. Que ce n’est pas contre nous. On te connaît. On sait qui tu es, mec. Et des fajitas accompagnées de vin… ben c’est quand tu veux, écoute !

— T’en fais pas, vieux ! a renchéri Thomas. On sait que tu en chies avec ta bonne femme.

— Les amis ça sert à ça hein, dans les bons comme dans les mauvais moments, me culpabilisa davantage Ambre sans le savoir.

— Et puis tu dois t’accabler assez pour qu’on en rajoute une couche, a bien supposé Marion. Après, c’est vrai qu’on n’en a pas fait tout un foin non plus. On a décidé ça d’un commun accord. C’est souvent ce qui arrive lorsqu’on s’aperçoit qu’on s’apprécie mieux en tant qu’amis qu’amants.

C’est curieux. L’électrochoc de cette nouvelle a agi sur moi comme un coup de fouet. C’était à la fois douloureux et revitalisant. Comme si j’avais subitement recouvré l’usage de mes cinq sens.

Car oui, toute cette histoire avec Horror m’avait enlisé dans une sorte de tunnel bien glauque. J’avais des œillères. Incapable de remarquer ce qui se tramait autour de moi. Je subissais chaque obstacle. Et pas des moindres. Et voilà que je venais de me prendre un missile me faisant emprunter un tournant décisif. Bien que j’ignorais encore comment atteindre le bout de ce maudit tunnel, j’avais déjà conscience de son existence.

J’étais sur la bonne voie.

Ce qui était un énorme pas en avant. Je devais changer un bon paquet de choses. Un grand ménage s’imposait. Outre tout ce bordel avec Horror, je devais commencer par redevenir moi-même. Récupérer le mérite du titre de meilleur pote de Cyril en faisait partie.

Ce pour quoi, ce que venait d’énoncer Marion m’a interpellé. Si elle était persuadée d’un commun accord, ce n’était pas le cas de Cyril. Je le lisais à travers son regard. Pour une fois, Cyril pourrait s’appuyer sur moi, comme dans le bon vieux temps.

J’ai fini par apprendre que mes deux meilleurs amis s’étaient séparés il y avait plus d’un mois. Je me demande encore comment j’ai pu passer à côté de ça, alors que je les avais souvent côtoyés durant cet intervalle.

Les quatre jours qui ont suivi ce souper entre amis, je me suis consacré aux soucis de Cyril lorsqu’il rentrait le soir.

N’ayant pas mon matériel pour pouvoir bosser ma musique en journée, j’en ai profité pour chercher des solutions parallèles pour diminuer les frais d’un divorce pour faute. Il n’était plus question de trouver un petit job, mais de passer à la vitesse supérieure avec Horror.

Terminés les coups bas, les réflexions, les petits jeux malsains, les reproches, les cris, les larmes… Je voulais juste divorcer le plus tôt possible. Cela avait déjà bien assez traîné comme ça.

Je me gardais bien de parler de tout cela à Cyril. Il en avait assez fait les frais à mon goût. Dès qu’il me posait des questions, je répondais des futilités pour recentrer la conversation sur lui. J’étais plutôt fier de moi.

A priori, Marion et lui connaissaient des problèmes… particuliers. Il n’a pas insisté sur les détails, or, j’ai bien compris. Ces choses ne s’abordent pas facilement. Il est donc resté sur l’explication : il n’y avait pas « la petite étincelle » entre eux. Quitte à vivre une relation platonique, ils préféraient ne rester que des amis.

J’ai longtemps médité sur ce concept de « petite étincelle » ou encore « le coup de foudre ». Je me demande s’il existe des couples qui ressentent ce genre de choses. Des phénomènes qui me paraissent bien fictifs. Si Cyril et Marion s’accrochent à cette idée, c’est leur droit.

J’ai attendu le week-end pour donner rendez-vous à Horror dans un endroit public. Un endroit neutre. À l’air « pur », si on fait abstraction du fait que nous étions au cœur de Paris. Une ville qui, comme toute grande capitale qui se respecte, est trop polluée. Une raison supplémentaire de divorcer au plus vite. Il était temps que je quitte tout ce qui demeurait toxique dans ma vie.

J’avais expliqué à Horror que je voulais qu’on aborde les choix qui s’offraient à nous pour en finir définitivement. Et plus calmement, aussi. J’avais trouvé deux trois nouvelles astuces dont il fallait qu’on discute.

J’admets qu’il ne s’agissait pas de solutions très honorables sur le plan légal, or, nous avions déjà conclu que rien ne ferait notre bonheur avec la thérapeute. Bref. Horror a râlé à l’idée de « devoir se déplacer » pour me voir. Nous avons fini par nous mettre d’accord sur dimanche matin, dix heures, sur la terrasse du café juste en bas de chez nous.

Comme je l’avais prédit, ma femme n’a pas pointé son nez avant onze heures trente-quatre. J’ai pris sur moi pour ne pas relever. J’avais besoin que l’issue de cet échange soit positive. Avec un peu de chance, il s’agirait là de notre ultime tête-à-tête avant la prononciation du divorce tant attendu.

— Moi qui pensais que tu m’avais prétexté une conversation barbante pour me faire venir et me prouver en personne que tu avais trouvé un job en tant que serveur, ici… J’arrive à peine et je fais déjà face à une déception.

— Bonjour, mon cœur ! ai-je rétorqué d’un sourire teinté d’ironie.

— Du coup, je n’ai pas senti l’urgence d’être là à l’heure, vu que je pensais que tu bossais ici. Et puis, le dimanche matin au lit, c’est sacré ! Surtout après la soirée que j’ai passée. Un super concert ! Tu sais, avec de la vraie musique et de vrais musiciens. Tu devrais essayer, ça te changerait un peu !

Je me maîtrise...

— Donc, ai-je enchaîné d’un ton posé, je voulais te parler de quelques…

— Tant mieux pour toi si tu as eu du temps à perdre pour chercher des trucs illégaux et inutiles, me coupa-t-elle de son petit air hautain coutumier. Pendant que moi je travaillais, j’ai reçu un appel de Mme Zapoli. On a rendez-vous mercredi dans son cabinet. Elle a du nouveau concernant ce fameux programme et elle voudrait en discuter plus en détail avec nous. Mercredi, treize heures.

Cette fois-ci, j’ai soupiré.

— Et quand est-ce que tu comptais me demander mon avis ? Mercredi à midi quarante-deux ? ai-je désapprouvé néanmoins sans m’énerver.

— Ta question est irrecevable, puisque je viens tout juste de t’en faire état. Ce n’est d’ailleurs pas comme si tu avais des journées bien remplies.

— Ça t’écorcherait le bec d’être un tantinet agréable ?

J’avais prononcé cela un peu plus fort que prévu. Tous les regards s’illuminèrent en quête de sensations fortes. Eh non, ils ne seraient pas témoins d’une crise...

— Vous en faites pas, on est juste mariés ! leur ai-je rétorqué avec sarcasme.

— Oui, la plus belle réussite de ma vie ! a poursuivi Horror sur la même lancée. Treize heures, mercredi. Sois à l’heure !

Je l’ai laissée partir. À quoi bon essayer d’obtenir quoi que ce soit d’autre de la part de cette femme ?

Mercredi à treize heures, donc…