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Prologue

Répondre au mail de Lionel. Modifier le contrat de Dorian. Ne pas oublier de...

― Je ne vais pas tarder à venir ! suffoque Gary.

Ce n’est pas trop tôt...

Bon. J’en étais où ?

Ah oui ! Les contrats. Je dois passer au pressing, aussi, et…

Le gémissement de ce mâle en chaleur me déconcentre. Il signe toutefois la fin de ce supplice soporifique. J’observe Gary s’affaler sur son matelas, en priant pour qu’il ait suffisamment pris son pied pour ne pas en réclamer davantage. Je n’ai pas assez bu pour subir un deuxième round.

― Ça va ? halète-t-il.

J’esquisse un sourire que je voudrais plus convaincant. Mais il n’y a rien à faire. Je ne sais pas plus feindre le désir que l’orgasme.

Ce n’est pas faute d’avoir essayé.

Selon Gwen, mon associée, Gary était censé marquer LA différence. Résultat, c’est LA désillusion de trop.

― Ça va. Et toi ? marmonné-je.

L’échange du siècle...

Et dire que des tas de femmes tueraient pour une nuit avec ce cliché ambulant. Gary Leto… Dommage, il a du répondant et une forte addiction à son travail. Donc, une hypothétique compréhension pour la mienne. Chose peu courante. Il faut croire que la perfection n’est pas de ce monde. Sa mine réjouie post-coïtale achève tout espoir de compatibilité.

Nos chemins se sépareront au seuil de la chambre à coucher. Comme toujours.

Suis-je déçue ? Je ne parviens pas encore à me prononcer. Ce n’est pas comme si je m’attendais à un miracle. Je me suis fait une raison depuis fort longtemps.

J’ignore ce qui m’a motivée à braver mes convictions les plus profondes ce soir. La force de persuasion de Gwen, probablement. Ou peut-être espérais-je que Gary n’éprouverait pas de grand engouement pour le sexe, lui non plus.

Pff. Je ris en mon for intérieur. Je dois cesser de me voiler la face. Si j’ai accepté ce rencard, c’était dans l’espoir de ressentir… quelque chose.

Quel fiasco!

Cette plaisanterie m’a fait perdre un temps précieux. Sans parler de celui qu’il va me falloir pour fausser compagnie à mon hôte, sans le vexer ou l’inonder de faux espoirs.

Pour aller au plus vite, j’opte pour la subtilité :

― Mince, ma pilule !

― Ta pilule ?

Son effarement indique que mon plan va fonctionner. Avant de crier victoire, je renforce l’urgence de la situation en lâchant :

― J’ai oublié mes comprimés au bureau. Quelle idiote ! Et bien sûr, j’y pense juste quand c’est l’heure de la prendre...

J’accompagne cette dernière remarque en bondissant hors du lit. Puis j’enfile mes vêtements à la hâte, comme si l’appartement de Gary était sur le point d’exploser.

― Ne t’en fais pas, Bianca, tente-t-il de me rassurer. La capote n’a pas craqué, regarde !

Loin de moi l’idée de m’imposer la vue d’un truc aussi répugnant. Déjà que le sexe ne m’attire pas, un préservatif usagé risquerait de m’en révulser à vie.

― Sait-on jamais, insisté-je en nouant ma robe derrière la nuque. L’arrivée d’un enfant serait aussi dramatique pour toi que pour moi.

― Tu reviens après ?

Jamais de la vie!

― Je suis navrée, mais du travail m’attend. J’ose à peine consulter mon smartphone...

L’art de déguiser un refus...

― Tu n’as pas aimé, c’est ça ? me prend-il de court.

À quoi bon s’acharner à sauver les apparences ? Ce n’est pas comme si j’avais l’intention de le revoir.

― Il n’y a pas de place pour autre chose que le travail dans ma vie, Gary. Je ne sais pas prendre du plaisir autrement. Ce qui vient de se produire me le prouve une fois de trop. Ça n’a rien à voir avec toi. J’ai toujours été ainsi. Je suis navrée de t’avoir embarqué là-dedans, même si l’unique responsable, soyons d’accord, c’est Gwen.

― Ce n’est rien, pouffe-t-il en se rhabillant de son côté. Elle m’avait prévenu.

― Ah oui ?

― Figure-toi que ton amie est persuadée que tu... vogues de l’autre côté du rivage.

Elle a osé...

Je décide d’en rire, en dépit du fait qu’il n’y a rien de drôle dans ma situation. Comment pourrais-je espérer que mon amie comprenne quelque chose, à ce qu’il m’est à ce point difficile à accepter ? Il est clair que je ne suis pas faite comme tout le monde.

Je suis asexuelle. Et ce n’est pas simple à gérer.

CHAPITRE 1

― Alors, tu laisses tomber Gary ? désapprouve Gwen.

Si prévisible... Je préfère garder le silence pendant que nous nous dirigeons vers les ascenseurs. J’hésite à emprunter les escaliers pour m’éviter une énième leçon de morale. Douze étages risquent toutefois de piquer, après la quantité de vin ingurgitée pour pouvoir coucher avec Gary. J’ai encore la tête qui bourdonne.

― Tu connais les règles, Gwen. Interdiction de parler de vie privée au travail !

― Jusqu’à preuve du contraire, notre travail se situe au dernier étage. Il nous reste quelques minutes avant de l’atteindre. Et puis nous sommes dimanche. Si j’ai accepté d’amputer mon week-end, ce n’est pas par charité. Tu ne t’en sortiras pas aussi facilement, Bibiche !

Je déteste lorsqu’elle me surnomme ainsi, et elle en a tout à fait conscience. J’appuie six fois de suite sur le bouton d’appel des quatre ascenseurs. Comme je sens que je ne vais pas couper à son harcèlement, je dois trouver un moyen d’entériner la question, une bonne fois pour toutes. J’essaye :

― Au risque de te chanter le même refrain, mon célibat me convient. Gary était sympa, c’est vrai. Mais nous ne recherchons pas les mêmes choses. Il mérite une femme qui ne considère pas le sexe comme une corvée.

― Ah non ! me rabroue Gwen, tandis qu’un ascenseur daigne enfin ouvrir ses portes. Tu ne vas pas encore me sortir ces conneries sur l’asexualité ! Tu ne peux pas te positionner tant que tu n’auras pas exploré toutes les voies qui s’offrent à toi. Gary est un Dieu au pieu. L’un de mes meilleurs coups. S’il ne t’a fait aucun effet, c’est que je dois chercher ailleurs. Mais tu dois m’aiguiller.

J’appuie une dizaine de fois sur le bouton censé fermer les portes, avant de réaliser que Gwen a glissé sa main contre le radar.

― Ôte-moi cette main du passage ! ordonné-je. J’ai une tonne de boulot qui…

― Une dernière soirée ! monnaye-t-elle. Une seule ! Après ça, je m’engage à ne plus jamais m’en mêler.

Tout ce qui me vient, c’est :

― Pourquoi ?

― Parce qu’il n’est pas tolérable de laisser ma meilleure amie vivre dans l’ignorance. Encore moins dans l’abstinence. Tu passes à côté de quelque chose de beaucoup trop jouissif. C’est impossible à concevoir, pour moi.

J’attrape son poignet et, d’un geste vif, l’attire contre moi pour l’emprisonner dans mes bras. Je suis plus grande et plus musclée. Elle a beau se débattre comme une lionne, je ne la libérerai pas tant que l’ascenseur n’aura pas entamé sa montée.

Parce qu’elle serait capable d’appuyer sur les boutons de chaque étage pour nous ralentir, je desserre mon emprise tout en maintenant ses mains dans les miennes. Puis, je la force à contempler notre reflet dans le miroir qui nous fait face.

― Regarde-nous, Gwen ! Ne vois-tu pas à quel point tout nous oppose ?

Elle se mord la lèvre pour ne pas exploser de rire. En effet, nous ne pouvons pas être plus différentes.

Son style gothique marque un contraste saisissant avec ma robe Tweed blanc cassé Valentino. Sans parler de ses nombreux tatouages, ses cheveux courts en bataille teints en noir et ses piercings (nez, lèvre inférieure, oreilles, nombril, et je ne souhaite pas connaître les autres emplacements). Je porte des bijoux, moi aussi — forcément —, mais jamais en argent ou en or blanc. Tout son contraire.

Notre bronzage artificiel et nos yeux verts doivent constituer nos uniques points communs sur le plan physique. Nos personnalités suivent la même dissemblance. Quant à nos centres d’intérêt…, en dehors des bijoux, je n’en relève aucun.

J’ai rencontré Gwen lors de notre prépa HEC. Puis, notre unique passion commune nous a amenées à créer Chic!ta, notre prestigieuse maison de joaillerie.

Sa fibre artistique complète à merveille mon sens pointu des affaires. Mon cerveau gauche ne pouvait pas trouver meilleur hémisphère droit que le sien pour mener notre société aussi loin. Outre cette formidable complémentarité professionnelle, notre dynamique repose avant tout sur la confiance. Chacune détient son périmètre d’exécution bien défini et aucune de nous n’empiète sur le domaine de l’autre.

J’aimerais qu’il en soit autant dans notre sphère privée...

― Il n’y a rien de nouveau, pouffe Gwen. Je sais que nous sommes très différentes et que tu n’aspires pas à la même vie que moi. Mais tout de même… une soirée ! Celle de ton choix. Et promis, je ne t’embête plus jamais après !

Les portes de l’ascenseur s’ouvrent et me délivrent de cette sempiternelle conversation.

― S’il te plaît ! insiste Gwen en me suivant de très près.

J’effectue une brève analyse de sa requête, tandis que je nous dirige vers notre machine à café adorée.

Je lance la préparation de son cappuccino dans un silence qu’elle respecte. Je fais semblant de ne pas remarquer son regard implorant.

― La soirée de mon choix ? m’assuré-je en lui tendant sa tasse.

― De ton choix.

― J’ai du mal à croire que…

― Je n’ai qu’une parole et tu le sais, Bianca. Tu peux même rédiger un contrat, si tu le souhaites. Tu adores ça. Tu noteras que je m’engage à ne plus jamais chercher à te caser ou à t’éveiller aux plaisirs charnels.

― Ne plus remettre en question mon asexualité, surtout, observé-je en mettant en route mon café allongé. Je n’ai pas plus de désir pour les hommes que pour les femmes. Je me tue à te le répéter, c’est usant.

Gwen s’empare de ma tasse pour m’inciter à la suivre jusqu’au petit salon. Elle s’installe sur notre grand sofa blanc et me fait signe de la rejoindre.

― Je n’ai pas le temps, décliné-je en tentant de récupérer mon café.

― Souviens-toi quand on s’est connues, appuie-t-elle. Je ne jurais que par le chocolat chaud. Pas moyen de me faire boire une autre boisson chaude. Puis, tu m’as convertie au cappuccino colombien, avec cette machine à café de folie. Si j’étais restée campée sur mes positions, je serais passée à côté de cette petite merveille.

Gwen est un brin têtue.

― D’accord, mais tu sembles oublier que j’ai expérimenté le sexe à de nombreuses reprises.

Cinq fois, pour être exacte. Cinq supplices en 32 ans d’existence…

― J’avais déjà goûté du cappuccino instantané, poursuit-elle avec un acharnement sans faille. Tout ce que je te souhaite, ma douce, c’est de rencontrer ton café colombien. Qui sait, peut-être que c’est un Latino, qu’il te faut. Ou une Latina. On a tendance à chercher l’image de notre père à travers nos conquêtes.

Avant que Gwen ne s’enfonce davantage, j’emploie les grands moyens :

― Dis-moi, combien de personnes te jugent pour ton union libre avec Jean ?

― Sans doute plus que j’ose l’imaginer, ricane-t-elle. Ne t’en fais pas, je sais que tu n’en fais pas partie.

― Parce que je sais faire la distinction entre le cœur et le désir charnel. Les sentiments et les hormones sont deux choses bien distinctes.

Comme je sens que j’ai enfin toute son attention, je choisis mes mots avec soin et exprime :

― De la même façon que tu disposes d’un appétit sexuel plus élevé que la moyenne des gens, moi, je n’en éprouve pas du tout. Si je fais l’effort de te comprendre alors que tes pulsions me dépassent, tu pourrais en faire autant avec moi. Tu ne voudrais pas d’une vie de couple avec une femme ou un homme que tu ne désires pas. Alors, pourquoi vouloir à tout prix me l’imposer ?

Son regard semble enfin refléter un éclair de compréhension.

― Une soirée, Bianca ! me supplie-t-elle inlassablement.

Fausse alerte…

J’énonce sans détour :

― Dans ce cas, ce sera ce soir. Autant en finir au plus vite.

― Demain soir. Sinon je n’aurai jamais le temps de…

― Et c’est bien pour cette raison que je choisis ce soir, l’interromps-je. Ne commence pas à chercher à outrepasser les règles que tu as fixées. À présent, je te rappelle que nous sommes dans nos bureaux et qu’il n’y a aucune place pour la vie privée ici.

J’engloutis mon café d’une traite et range la tasse dans le lave-vaisselle.

― Va pour ce soir, concède mon associée. De dix-huit heures à minuit, non négociable.

― Dix-neuf. Gary m’a fait perdre un temps précieux.

― Dans ce cas, je te libère à une heure du matin, soupire-t-elle. J’ignore encore ce que je vais improviser, mais je t’annonce que tu ne risques pas d’oublier cette soirée. Prépare-toi à vivre les six heures les plus intenses de ta vie !

C’est à mon tour de soupirer.

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